Réécriture, structure, ellipse, antagoniste, épilogue... Il existe tant de mots pour parler de la science du storytelling !
La narration et les concepts qui l'entourent est un domaine passionnant et personnellement, j'adore lire des articles ou regarder des vidéos sur le sujet. Ces articles et ces vidéos, pour la grande majorité, je les trouve du côté de nos amis américains... En résulte un phénomène assez étrange.
Parfois, il m'arrive de vouloir exprimer un concept, mais de ne pas trouver de mot existant pour celui-ci. Je veux dire: existant en français, car vous pouvez être sûr que les anglophones ont déjà trouvé un mot pour exprimer cette notion. Si possible, un mot unique, simple et explicite. Donc, me voilà avec un concept narratif que je comprend en anglais et que je souhaite réutiliser pour parler écriture - dans un article par exemple - mais il me faut logiquement en chercher la traduction française.
Et pourtant... Pourtant, il n'existe parfois pas de traduction pour ces concepts. Ils n'ont pas d'équivalent. Soit parce qu'ils sont déjà ancrés dans le langage courant et qu'on a abandonné l'idée de les traduire (coucou anglicismes!), soit parce que... la notion n'existe pas en français. Il est donc impossible d'en trouver une traduction simple et qui garde le sens premier (car le vocabulaire doit être précis, et une traduction littérale ne fait généralement pas l'affaire).
Mais comment est-il possible qu'il n'existe pas d'équivalent à des notions de narration, alors que celles-ci sont pourtant assez universelles? J'aimerais répondre à cette question, mais d'une, je ne suis pas sûre de trouver une réponse satisfaisante (la science du storytelling, la complexité d'un bon scénario ou d'un bon récit sont-ils suffisamment pris au sérieux en France?) et de deux, ce serait digresser du sujet qui m'intéresse particulièrement aujourd'hui.
Dans cet article, je vais donc vous parler de ces mots anglophones intraduisibles qui me font me tirer les cheveux lorsque j'essaie de les transposer dans notre langue. Ce sera l'occasion de parler de notions d'écriture, et de leur incidence sur la narration et la forme du récit. Et moi, j'aime bien parler de tout ça.
Je précise si besoin que je n'ai vraiment aucune connaissance en linguistique et étymologie, je ne donne ici que mon point de vue d'autrice. Je vous invite aussi à me proposer vos traductions personnelles pour ces concepts :)
Love interest :
Ce concept est quasiment à lui tout seul à l'origine de cet article.
Dans un post précédent "tag spécial St valentin", je m'étais amusée à traduire un quiz destiné aux auteurs et amateurs de romance et je m'étais retrouvée face à deux problèmes. Le premier, comme vous le devinez, était que je ne trouvais pas de traduction pour cette notion. Je me suis alors dit: tant pis, je garde love interest, c'est assez parlant. Mais le deuxième problème, c'est que ce n'était pas si clair que ça finalement! Certains ne comprenaient pas le terme, car ce n'est pas juste deux mots en anglais assez faciles à comprendre, c'est une véritable notion d'écriture. Il y a donc un sens derrière plus complexe que la juxtaposition de deux mots.
Dans un récit, le love interest est un personnage qui est principalement là pour susciter un attrait amoureux de la part du protagoniste. C'est l'objet du désir pour le personnage principal.
Par exemple, dans le film 500 jours ensemble, Summer est le love interest de Tom. Dans Harry Potter et l'ordre du Phénix, Cho Chang est le love interest d'Harry. L'homme masqué est le love interest de Sailor Moon. Et pour les lecteurs des Enfants de Vénus: Lime est le love interest de Physalis ;)
Essayons donc maintenant de traduire love interest : l'intérêt amoureux? L'objet du désir? Ce n'est pas très satisfaisant. Ce n'est pas non plus un compagnon ou une compagne, car le love interest peut n'aboutir à aucune relation.
En plus, en français, on ne peut pas s'empêcher de genrer les mots, alors que la notion de love interest n'est de base pas genrée. C'est un concept qui caractérise la fonction d'un personnage dans l'intrigue, pas un personnage en lui-même. Donc gardons en tête que le love interest concerne bien un personnage, mais qu'il s'agit plutôt d'un moteur d'intrigue.
Oui, on pourrait parler d'intrigue romantique.
Essayons dans un contexte: Y a-t-il vraiment besoin d'une intrigue romantique entre Joey et Rachel ou la série Friends est-elle en train de s’essouffler au bout de 8 saisons? Allez, ça marche à peu près... Meh.
(ne vous en prenez pas à moi, j'aime bien cette relation Rachel/Joey, j'ai juste pris un exemple connu pour appuyer mon propos :p)
Trope :
Deuxième concept énormément utilisé chez nos confrères anglophones, et qui souffre de ne pas trouver de réelle traduction en français: le trope. Ce qui est vraiment dommage car il est vraiment vraiment utile.
Mais kézako, un trope ?
Un trope, dans le sens que nos amis anglophones l'entendent, est une convention narrative, un type d'intrigue spécifique, une récurrence scénaristique, une sorte de figure de style narrative. En français, on pourrait traduire assez simplement ça en schéma narratif. Mais est-ce que ça vous parle vraiment quand je vous dit ça? J'ai beau détourner sous plusieurs définitions le schmilblick - ou le trope - son sens reste obscur.
Le plus simple est de parler d'exemple. Prenons donc quelque chose de simple: le happy end. Le happy end est un trope qui consiste à finir un récit sur une note positive, où le héros a enfin réussi à vaincre le méchant, où les amoureux sont enfin réunis etc. Le fameux "élu" (the chosen one) est également un trope très répandu (Matrix, Harry Potter...).
Et vous savez quoi? Le love interest est lui aussi un trope, ou plutôt un super-trope qui regroupe tout un tas de sous-catégories.
(Je vous invite, si ça vous intéresse, à jeter un œil au site Trope Tv et à cet article qui recense ces fameux sous tropes: https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/LoveInterests )
(D'ailleurs ce site recense et explique des centaines de tropes, c'est une source vraiment très amusante à explorer!)
Ça va? Vous êtes toujours là? Bon, je pense que vous saisissez quand même un peu mieux le concept à présent. Mais là, vous êtes surement en train de vous dire: et donc, pourquoi ne pas utiliser plutôt le mot "cliché"? Cela ressemble quand même fortement à des clichés tout ceci...
Eh bien, c'est là que les anglophones sont des coquins, puisque le cliché est en effet un trope, mais un qui aurait été tellement utilisé, tellement galvaudé, qu'il en devient visible par le spectateur et par conséquent, prédictible, ennuyant, ou même encore pire: risible. Le cliché est donc à éviter, tandis que le trope n'est ni bon ni mauvais. Il faut juste en tant qu'auteur en avoir conscience et en faire bon usage.
Worldbuilding :
Le worldbuilding est un mot bien connu des auteurs de SFFF en particulier, puisqu'il s'agit du processus de création d'un monde imaginaire. Au moment de placer une histoire dans un univers différent du nôtre, il faut en définir au minimum les grandes lignes, les règles qui le régissent. Cela va du système économique et politique, en passant par la religion, la culture, les technologies, la géographie... S'atteler au worldbuilding est une étape qui peut s'avérer très chronophage, laborieuse pour certains, et une vraie partie de plaisir pour d'autres! Dessiner une carte, cataloguer toutes les races de créatures, créer un arbre généalogique, inventer une langue, des règles de magie... Tout ceci relève du worldbuilding.
Mais alors pourquoi utilise-t-on worldbuiliding et pas un autre mot en français? On pourrait tout à fait dire "création de mondes" ou création d'univers de fiction".
"Je m’attelle en ce moment à la création de mon univers" plutôt que "je m'attelle au worldbuilding" revient exactement au même, à quelques mots près... S'agirait-il de céder à la facilité alors?
En fait, je remarque un schéma récurrent depuis le début de cet article. Dans la langue anglaise, vous prenez deux mots, vous les collez et boum - ça fait des chocapic! - ça fait un concept. Love et interest? Love interest. Back et story devient une backstory ! Cliff et hanger? Bref, vous avez compris. Ce sont des mot-valises. Et comme nous l'apprend notre ami wikipédia: "Le mot-valise est source de beaucoup de néologismes", et par conséquent de nouveau mot pour la langue. Il faut croire que les anglophones ont beaucoup plus tendance à s'en servir (et peut-être sont-ils moins réticents à l'évolution naturelle de la langue? C'est une vraie question, je n'en sais rien).
Je vous invite aussi à consulter cet article qui tente de définir le worldbuilding et de lui trouver une traduction :
Bon, alors... J'ai soulevé plus de questions qu'apporté de réponses avec cet article. Et vous, qu'en pensez-vous? Pourquoi utilise-t-on ces anglicismes au lieu de leur trouver des traductions efficaces? Flemme, manque d'intérêt, ou incompatibilité du langage... ou un mélange de tout ça?
C'est tout pour cette fois! J'ai encore deux-trois concepts en anglais sous le coude, alors si l'article vous a plu, dites-le moi ;) En attendant, proposez-moi vos propres traductions en commentaire ou d'autres concepts que nous pourrons explorer plus en profondeur dans un prochain article.
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